À Paris, les Chinois, les Indiens, ou les Turcs se rassemblent dans des quartiers bien distincts. Il suffit de quelques rues pour établir une zone à soi, avec services de proximité dédiés. Les Japonais ont choisi les alentours de l’Opéra Garnier pour s’installer. Plongée dans ce quartier méconnu du cœur de la capitale…
« Je voudrais rentrer au Japon dès que possible. » Uno fume une cigarette en bas d’un immeuble de bureaux, à l’angle de la rue Ste Anne et de l’avenue de l’Opéra. Cravate autour du cou, cet employé japonais travaille dans l’import-export de pièces automobiles. Il est en France depuis 2 ans, muté par son entreprise japonaise dans sa filiale parisienne. Il y trouve la vie difficile. Il n’a pas eu le choix. Mais il n’a pas l’air dépaysé par le quartier qui propose de nombreux services dédiés à lui et ses compatriotes. « J’aime cet endroit, c’est pratique, mais la vie est plus chère qu’au Japon. ».
Ce quartier, c’est le « Japan Town » de Paris, avec la rue Ste Anne comme axe principal. Cette artère haussmannienne n’a pourtant rien d’exotique au premier abord. Mais lorsque l’on y regarde de plus près, cela devient vite intriguant. L’immeuble dans lequel travaille Uno abrite d’autres sociétés japonaises, comme le prouve les plaques posées près de la porte d’entrée. En face, un coiffeur, « Takeo Fuji ». À l’intérieur, des employés et des clients japonais. Seule la manager est française ; elle résume simplement la situation : « C’est une question de texture de cheveux. Les Japonais préfèrent être pris en charge par d’autres Japonais. ».
Un peu plus loin encore, une boutique très sobre et minuscule. A l’intérieur, des étagères remplies de DVDs japonais. Derrière un comptoir, Hiroshi, paisible employé de ce vidéo-club au nom compliqué de « Joint Video System ». Il habite Paris depuis 15 ans et, contrairement à son compatriote rencontré quelques mètres plus bas, il ne sait pas s’il pourrait revenir vivre au Japon : « Trop de travail, trop de stress… Et puis j’aime voir des gens différents ». Il aime particulièrement le côté cosmopolite de la capitale française, caractéristique totalement absente des villes de son pays. Pourtant, 90 % de sa clientèle est japonaise ! Selon lui, il faut quand même du temps pour s’adapter à la mentalité française : « Pour une personne avec la mentalité japonaise, c’est très difficile, que ce soit pour le travail, la politesse ou le rapport avec les amis. ».
Il n’y aurait donc que les Japonais « différents » voire « originaux » qui seraient capables de supporter notre mode de vie ? Un point de vue confirmé par M.Yanagi, chef d’entreprise, installé en France depuis plus de 25 ans. Il est intarissable sur l’histoire de ce quartier de Paris où les Japonais se sont retrouvés dans les années 1970 : « Tout a commencé avec les premiers voyages organisés en provenance du Japon, à la fin des années 1960. Le quartier de l’Opéra a eu rapidement la faveur des tours opérateurs nippons en raison de sa proximité avec le Louvre et l’Opéra Garnier notamment. Les nombreuses boutiques Duty Free de l’avenue de l’Opéra ont fini par être envahies par les touristes japonais, friands de souvenirs et d’articles de mode. Il n’a fallu que quelques années pour que cet axe ne soit surnommé « Avenue de Tokyo » par les tours opérateurs. ». Takara fut l’un des premiers restaurants japonais à s’installer rue Molière, bientôt suivi par une ribambelle d’autres petites échoppes. La nostalgie des Japonais pour leur cuisine fait que ces restaurants ont connu tout de suite un franc succès. Les clients qui s’y pressent chaque midi et soir sont autant de Nippons expatriés ou de passage que de Parisiens à la recherche de nouvelles saveurs.
A côté de toutes ces enseignes gastronomiques, on trouve également de nombreuses agences de voyage japonaises, l’autre grande part de mono-commerce de la rue Ste Anne. Certaines comme « M. » ou « My Bus » organisent des séjours en France pour les touristes japonais. Mais Paris n’est plus vraiment à la mode au Japon à cause de cette tenace réputation : la capitale française est sale, peu sûre, et ses habitants sont froids et pas ouverts. D’autres visent les Français désirant se rendre au pays du Soleil Levant. « Voyageurs au Japon » est l’une de celles-ci. Installée depuis 20 ans dans le quartier, elle a changé son orientation depuis quelques années, bénéficiant de l’engouement des Français pour la culture nippone – gastronomie, mangas, … Ce quartier est devenu aujourd’hui celui des amoureux du pays du Soleil Levant et l’agence en profite donc bien.
Autour de la rue Ste Anne, d’autres facilités encore sont offertes aux Japonais de Paris telles que des librairies, des épiceries, une agence LCL franco-japonaise (la seule de Paris), … Pourtant, au contraire des Chinois ou des Indiens de la capitale, les Nippons ne vivent pas dans le quartier. Ils ne sont là que pour travailler. Les plus riches préfèrent le 16e arrondissement selon M. Yanagi. Quid des véritables habitants de cette aire nippone ? Selon Le Parisien du 27 mars, ils sont en colère, lassés de voir leur quartier « mourir » sous le joug de ces « envahisseurs » d’Extrême-Orient et de leurs restaurants qui se ressemblent. Devant leur mobilisation, le Conseil de Paris a même lancé une étude pour établir un diagnostic de la situation. Mais les commerçants « français » du quartier ne sont pas plus dérangés que cela, même s’ils ressentent bien cette crainte des habitants. L’unique boucher de la rue Ste Anne s’insurge : « Si les Français bossaient autant qu’eux au lieu de se mettre aux 35h, il n’y aurait sûrement pas de problèmes ! ».